Saint-Étienne
lundi 5 décembre 2022
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Aides à domicile : « La parole se libère »

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Ces aides à domicile et autres professionnelles de la Loire apparentées au secteur, ne renoncent pas à exprimer leur ras-le-bol. Elles ne l’ont jamais autant fait depuis la création d’un syndicat spécifique à leur branche au sein de la CGT du département en mars dernier. Objectif : mettre en évidence que les dernières avancées restent lilliputiennes au regard des difficultés persistantes de leurs conditions de travail…

Un syndicat départemental spécifique à la branche Maintien et aide à domicile 42 a été créé par la CGT en mars dernier. Photo transmise par l’UD CGT.

Pas mieux, assurent-elles. If Saint-Etienne avait consacré un dossier, au début du printemps, essayant d’évaluer les résultats dans la Loire des annonces de l’Etat sur l’amélioration salariale des aides à domicile travaillant au sein des associations conventionnées avec le Département. Puis en prime, dans la foulée, un article où la parole était, là, donnée à des salariées du secteur dit « lucratif », non conventionné, sur le mode particulier employeur ou non. Celles-ci représentent, estime la CGT, environ la moitié des milliers de professionnelles dans la Loire travaillant dans ce secteur dont le métier est le plus souvent celui d’auxiliaire de vie même si celui-ci en côtoie d’autres, celui d’aide-soignante par exemple.

Aux yeux de ces professionnelles désormais syndiquées, derrière les annonces que l’on doit au coup de projecteur qu’a été la Covid et leurs applications relatives – pour rappel, les augmentations dans le milieu conventionné par exemple sont réelles mais très inégales* –, ni l’Etat, ni le Département, ni les employeurs ne prennent réellement la mesure de la situation et les réponses à apporter : conditions de travail très difficiles, inégalités de traitement pour des taches identiques ou encore profonde dévalorisation sociale et pécuniaire. D’où l’invitation du syndicat départemental CGT Maintien et Aide à Domicile 42 à l’adresse des médias locaux pour exprimer à nouveau son « profond ras-le-bol ». Une branche départementale de la CGT créée en mars dernier qui est une première dans la Loire, précise le syndicat, et de toute façon encore très rare ailleurs.

Une attractivité toujours en berne

« C’est un univers où les gens sont très isolés, très cloisonnés. Alors, il n’y a pas de tradition revendicative. Mais même avec des métiers, des employeurs, des horizons différents, nos enjeux et nos intérêts sont communs, explique Céline Marques, sa secrétaire générale, aide-soignante au sein du réseau associatif ADMR (Aide à domicile en milieu rural) Loire. Nous comptons désormais plus de 80 adhérentes. Si nos rangs continuent de grossir, c’est encore peu par rapport au nombre de professionnelles exerçant dans le département. Il faut dire que payer 1 % de cotisation syndicale sur son salaire, quand vous gagnez 500 € par mois, ce n’est pas évident… Il y a cependant, petit à petit, une prise de conscience qu’il est légitime de dénoncer nos conditions de travail et que nous devons nous unir pour le faire. On s’est tu trop longtemps. Maintenant, la parole se libère. Notre permanence téléphonique et notre boite mail reçoivent de plus en plus de sollicitations, cinq en moyenne par semaine. »

Il y a petit à petit, une prise de conscience qu’il est légitime de dénoncer nos conditions de travail et que nous devons nous unir pour le faire.

Céline Marques, secrétaire générale CGT

La syndicaliste décrit une situation toujours aussi grave : plannings casse-tête avec leurs trous et donc des heures trop souvent éparpillées de tôt le matin à tard le soir, quand ce n’est pas de nuit, temps partiels trop systématiques, rémunérations trop basses, prise en compte insuffisante des temps de déplacement, frais kilométriques insuffisants, du moins « quand ils sont payés »… Pas de quoi aider l’attractivité d’un secteur qui a particulièrement du mal à recruter. Au-delà, de ces problématiques, la situation, selon Céline Marques, met en danger la prise en charge même d’aînés de plus en plus nombreux. Des rassemblements de protestation ont bien déjà été organisés, par exemple au sein de l’AIMV il y a quelques années. Mais l’implication des aides à domicile dans les récentes manifestations des personnels de santé n’a pas permis de les mettre en avant, du fait qu’elle était noyée dans la masse. Délicat, voire impossible, assurent les syndiquées de lancer une grève, un mouvement social spécifique entre craintes des conséquences pour les bénéficiaires, et difficultés à fédérer massivement du fait de l’isolement et de l’émiettement des situations.

« L’aide à domicile n’a pas à être un commerce »

Aussi, la CGT a tenu il y a quelques jours à ajouter à sa demande répétée d’augmentation significative et uniforme des rémunérations – « même travail, même salaire » – les revendications suivantes : « Ce que nous faisons relève des soins et doit donc relever pour son financement de la Sécu. Les temps de trajet doivent systématiquement être pris en compte comme ceux d’échanges entre deux professionnelles vis-à-vis du même bénéficiaire, les frais kilométriques des aides à domicile obligées d’utiliser leur véhicules personnels relevés à 0,6 €/km et enfin, au titre de la pénibilité du métier, nous voulons un départ à la retraite à 55 ans, à taux plein.» Le syndicat souligne que si la situation n’est rose nulle part, elle le serait encore moins pour le secteur dit « lucratif », et notamment du côté du modèle particuliers employeurs : « Pas de formations, pas de pause méridienne : non mais dans quel siècle on vit là ?!, s’insurge Céline Marques. L’aide à domicile n’a pas à être un commerce. »

Des membres de son syndicat travaillent au sein de cet univers. Comme par exemple « Joséphine », prénom d’emprunt qu’elle se donne elle-même craignant, dit-elle, en l’absence d’anonymat de subir des répercussions de sa prise de parole, sur son volume d’activités. Aide à domicile, « Joséphine » donc travaille en mode « particulier employeur » par l’intermédiaire de l’entreprise Petits-fils. Née en Ile-de-France en 2007, celle-ci compte 250 agences franchisées en France dont deux à Saint-Etienne, dont l’agence Saint-Etienne Ouest travaillant avec Joséphine. Car Petits-fils n’est pas l’employeur des aides à domicile : ce sont ses clients qui le sont directement. La société, comme d’autres – O2, par exemple – propose un service intermédiaire administratif complet (bulletin de salaire, remplacements en cas de besoin), de mise en relations et de suivi de prestation.

Petits-fils : « Nous ne sommes pas l’employeur »

Joséphine, elle, fait l’inventaire des problématiques : « Quel que soit, votre déplacement, sa longueur ou le mode de transport, c’est un euro, point. Il y a aussi une logique de précarisation en faisant pression sur notre volume de missions, en limitant les temps, le fait que tout peut s’arrêter de jour au lendemain avec un bénéficiaire qui décède ou part en Ehpad. On nous divise pour mieux régner. On fait tout pour éviter que l’on se rencontre pas et que l’on en discute. Vous n’avez pas de pause méridienne, pas de formations, ne serait-ce qu’aux premiers secours, pas de briefing et je n’ai jamais vu un médecin du travail… Alors, certes, nous avons obtenu via notre convention quelques augmentations l’an passé. Mais aujourd’hui, on touche 13,6 € bruts de l’heure en comptant les 10 % de primes congés alors que Petits-fils facture 28 € de l’heure. Quand je l’ai dit à une famille, elle a été choquée. » Déjà citée en avril dans un témoignage, Petit-fils, sollicitée par If au niveau national n’avait alors pas donné suite à notre demande.

L’entreprise Petits-fils, mandataire dans le cadre du dispositif particulier employeur, estime assure que ses prix sont conformes à une prestation de qualité. Photo d’illustration.

Nous l’avons à nouveau fait à la suite de la conférence de presse de la CGT. Déjà à la tête d’une agence à Lyon, Stéphane Versavaud a repris mi-septembre l’agence Saint-Etienne Ouest qui compte environ 70 clients pour 19 aides à domicile. Il a volontiers répondu à nos questions, aux côtés du service communication national de l’entreprise. Celui-ci met d’ailleurs en avant une enquête de satisfaction menée en 2021 à l’échelle hexagonale des auxiliaires de vie travaillant avec elle : 89 % d’entre elles se disaient satisfaites des conditions d’exercice proposés pour un turnover en moyenne de 12 % au bout de 2 ans, 4 % au bout de 4… Pour ce qui est d’une pause méridienne ou de formations, « nous ne pouvons pas l’assurer parce que nous ne sommes pas l’employeur, nous n’en avons même pas le droit ! Le CPF reste valable pour elle comme tout le monde. La convention, ce n’est pas nous qui la faisons non plus et oui, elle est dérogatoire au droit du travail vis-à-vis des horaires. Le besoin d’aide à domicile est permanent et ne cadre pas avec des horaires de bureaux. »

« On s’adapte aux demandes des aides à domicile »

Cependant, « nous revendiquons une prestation de qualité qui s’adresse à la grande dépendance avec des clients qui ont 83 ans en moyenne à raison de 3 en moyenne confiés aux aides à domicile qu’ils emploient. Aussi, chaque personne « recrutée » pour être mandatée par Petits-fils doit témoigner de 3 ans d’expérience si elle est diplômée, 5 sinon avec l’assurance de passer un certificat avec la Croix Rouge française. » Et Stéphane Versavaud d’ajouter : « C’est faux de dire que nous faisons tout pour isoler les gens qui travaillent avec nous. En tout cas, sûrement pas en ce qui me concerne : avec moi, il y a des cadeaux de Noël, de réels moments de convivialité, d’échanges… Depuis mon arrivée, je mets en place des choses, petit à petit, qui existent déjà dans mon agence de Lyon. Comme créer une Maison Petits-fils où les auxiliaires pourront se retrouver, échanger dans un cadre convivial. »

C’est faux de dire que nous faisons tout pour isoler les gens qui travaillent avec nous.

Stéphane Versavaud, dirigeant de Petits-fils Saint-Etienne Ouest

Ce qui, ajoute-t-il « est déjà possible de manière officieuse depuis mon arrivée : on est là, c’est ouvert, elles le savent et il n’y a pas de problème pour parler, avec ou sans nous. A mon arrivée, j’ai organisé une rencontre pour que tout le monde se voit. Je ne peux pas transmettre à une personne un n° de quelqu’un qui n’est pas mon employé mais si les deux parties sont ok, pas de souci. » Depuis son arrivée, le nombre d’auxiliaires est passé de 16 à 19, « non parce qu’on émiette le temps de travail mais parce que les besoins sont là. Quelqu’un qui frappe à ma porte et veut être à temps plein le sera rapidement, en quelques semaines le temps de caler ses missions. Il y a aussi des profils qui ne veulent qu’une activité partielle. Et si on me dit « non » à une mission, ça n’a pas de conséquences. Hier, j’ai reçu quelqu’un qui ne peut travailler que les lundis, mercredis et vendredis : on s’adaptera et non le contraire, comme on vient de le faire avec d’autres qui étaient déjà là. »

« Notre modèle a ses inconvénients et aussi ses avantages »

Stéphane Versavaud annonce aussi qu’il souhaite donner davantage pour les déplacements, comme il le fait sur Lyon et en différenciant transports en commun et voiture. Et Petits-fils précise que la convention a donné lieu à trois augmentations en un an – dont l’entreprise ne serait informée que le jour même de l’application – de ses aides à domicile, passant ainsi de 11,46 € à 12,21 €/h (13,6 avec les congés donc) : « Nous étions au-dessus de la convention auparavant, celle-ci nous a rattrapés. En cas d’hospitalisation du client bénéficiaire, l’auxiliaire ne perd pas sa rémunération. Et s’il décède ou part en établissement, le licenciement suit un cadre normal. Ajoutons aussi que nous proposons aux aides à domicile, si elles le souhaitent, d’accéder à une mutuelle aux tarifs préférentiels que nous avons négociés. Nous leur proposons, enfin, une assistance psychologique et sociale – Stimulus – gratuite et même une aide à la mobilité puisqu’elles n’ont pas de voiture de fonction. »

Quant à la différence entre le prix de facturation horaire, « il faut ajouter TVA et charges, souligne Stéphane Versavaud. Ce qui porte le coût de la rémunération à 16,52 € par heure déjà. Pour le reste, ce n’est bien sûr pas que de la marge, loin de là, mais justement de quoi appliquer une prestation de qualité et qui a donc un coût : démarches quotidiennes, formalités d’embauche, bulletin de salaire, suivi, courriers, remplacements et astreintes 24/24 7j/7 assurés par un contrat qui avant sa concrétisation donne lieu non seulement à un entretien d’évaluation avec le client bénéficiaire où tout est expliqué, cadré, les besoins relevés. Derrière aussi, il y a une visite à nos côté de l’aide à domicile chez les futurs bénéficiaires avant le début de la prestation. Alors, dire qu’il n’y a « pas de briefing« … »

Dans 90 % des cas, la sollicitation auprès de Petits-fils provient des enfants ou de proches aidants informés à plusieurs reprises, dit la société, consciente de la fréquente perte cognitive du client bénéficiaire, du mode de fonctionnement particulier employeur et de ce que cela implique. « Notre modèle a ses inconvénients mais aussi ses avantages, que ce soit pour le bénéficiaire et le professionnel. »

*Celles annoncées en 2021 dépendent de votre historique d’appartenance à la Convention dite Bad. Quelqu’un de très expérimenté mais appartenant depuis peu à cette convention, s’est donc vu très peu augmenté par rapport à d’autres.

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